PROXIMO REVUE DE PRESSE DU 18 Septembre 2020

MAROC: LES CHIFFRES DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE

L’industrie pharmaceutique nationale réalise un chiffre d’affaires global annuel de 15 milliards de DH représentant 1,5% du PIB national et 5,2% du secteur industriel. D’après les chiffres provenant de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP) relayés par l’agence MAP, le secteur compte près de 50.000 postes, dont 98% sont occupés par des Marocains. Au total, quelque 49 établissements pharmaceutiques industriels livrent quotidiennement une soixantaine de grossistes de distribution couvrant l’ensemble du territoire. 17% de leur production sont exportés.

Concernant les pharmacies d’officie de dispensation, le nombre atteint environ 17.000. En ces temps de crise, le secteur tente de résister. Il a d’ailleurs conservé l’intégralité de ses emplois, d’après les industriels, même si les exportations enregistrent une baisse de 14,7%, passant de 750 millions de DH à fin juillet 2019 à 640 millions de DH à fin juillet 2020, selon l’Office des changes.

Au-delà des formes galéniques standards (liquides, pâteux, formes sèches et injectables), de nouvelles formes sont actuellement fabriquées localement, telles que des produits de chimiothérapie, des produits hormonaux, l’insuline, les seringues pré-remplies, les poches pour alimentation parentérale, les aérosols.

LE LICENCIEMENT ECONOMIQUE TENTE DE PLUS EN PLUS LES ENTREPRISES

  • Plan social ou liquidation judiciaire ? Des dirigeants consultent
  • Des praticiens du droit s’attendent à des fermetures en série
  • Risque-pays et envolée des impayés bancaires comme indicateurs

Est-ce la saison des licenciements économiques ? Le sujet interpelle à l’heure où la pandémie du coronavirus a pris en otage plusieurs villes comme Casablanca, le poumon économique du Royaume. Des inquiétudes fleurissent ici et là contre les abus. Surtout après le feu vert du ministère de l’Intérieur au plan social de la compagnie aérienne RAM.

«Le simulacre de procédure (…) va ouvrir la voie à l’utilisation massive des licenciements économiques et plonger des milliers de nos concitoyens dans la précarité», s’inquiète l’Association marocaine des pilotes de ligne. Ses craintes interviennent dans le cadre du plan social engagé par la Royal Air Maroc (RAM). La corporation des pilotes les a signifiés, le 17 août 2020, dans une lettre adressée à la gouverneure de Hay Hassani, à Casablanca, Khadija Benchouikh.

Même son de cloche chez l’Union marocaine du travail (UMT). Le syndicat s’est déjà prononcé sur «l’illégalité de la procédure des licenciements» tout en avertissant qu’il «ne ménagera aucun effort pour défendre les intérêts du personnel» de la RAM.

Ce cas inédit semble inspirer des managers dans leurs recherches d’une solution de crise. Des banquiers pronostiquent d’ailleurs des mises à la porte massives.  «Je m’attends à des licenciements économiques avec l’apparition de motifs jusque-là jamais utilisés sur le plan procédural comme la non-atteinte d’objectif de production par un salarié ou la perte d’employabilité», témoigne sous le sceau de l’anonymat un responsable juridique d’une grande banque.

Début avril 2020, environ 142.000 entreprises ont déclaré au HCP avoir arrêté définitivement ou temporairement leurs activités. L’hébergement et la restauration sont les plus touchés par la crise sanitaire: 89% des entreprises en arrêt. Viennent ensuite le textile et cuir, puis les industries métalliques et mécaniques.  La promotion immobilière n’a pas été non plus épargnée: 60% des entreprises en arrêt d’activité

Les prévisions du secteur bancaire sont nourries par les créances en souffrance: 77 milliards de DH à fin juillet 2020. Les impayés de crédits à la charge des entreprises est de 44 milliards de DH. Ce qui représente plus de 14% sur un an, selon les statistiques monétaires. La Banque centrale s’attend à une hausse des créances en souffrance. Ses prévisions confortent relativement celles émises auparavant par la compagnie d’assurance-crédit Euler Hermes. «La situation se dégrade pour plusieurs pays y compris pour le Maroc qui voit sa cote de risque révisée. Elle passe du risque faible à risque modéré».

Le marasme économique aura certainement des conséquences sociales.

Des avocats ont déjà alerté sur une grosse vague de procédures collectives: plan de sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation. Certains praticiens du droit constatent également une hausse des consultations sur l’opportunité d’un licenciement massif.

 «Nous recevons plusieurs demandes de conseil au sujet du licenciement économique. Nos clients réfléchissent à ce scénario et notamment sur son coût financier», confie l’avocat Kamal Habachi qui exerce à Casablanca. Les secteurs les plus touchés sont le tourisme et le textile ainsi que quelques industries, constate le praticien. Il y a même «un arrêt d’activité total chez des sociétés de services».

Des professionnels de l’événementiel confirment cet état des lieux tout en écartant l’option des licenciements (Lire article). «Certes la situation est très difficile. Mais humainement, je ne peux pas licencier un collaborateur à cause d’une crise…», reconnaît la présidence de l’association Moroccan Travel Management Club (MTM Club).  

L’option n’est pas tout à fait écartable. Le discours patronal dominant a toujours plaidé pour la flexibilité du code du travail. En temps de crise cela se traduit par «la réduction de la masse salariale pour sauver l’entreprise». Un «vrai dilemme», reconnaît le management de S’Tour, Azzedine Skali.

Paix sociale ou survie d’une entreprise? 

Tailler dans les postes salariaux est-il l’unique solution? A part l’obtention d’un délai de grâce chez les créanciers, le redressement judiciaire ou le licenciement économique figurent parmi les scénarios envisageables. «Pour certains de nos clients, ce type de licenciement semble la solution la plus appropriée. Car une liquidation risque de traîner des années et n’est pas acquise d’office auprès des juges. L’indemnisation intervenue dans un plan social limite la casse par rapport à un licenciement classique. Encore faut-il en avoir l’autorisation des autorités locales», analyse le cabinet d’avocats d’affaires Habachi & Bakouchi.

En cas de demande de licenciement économique, la décision d’un gouverneur et de la commission provinciale qu’il préside fera face à une équation difficile.

TOURISME : LE MAROC PREPARE SON OFFENSIVE A L’INTERNATIONAL

Le département du Tourisme multiplie les rencontres avec les acteurs

Objectif : rassurer les prescripteurs pour garder le pays dans les programmations

Les TO demandent plus de souplesse dans les protocoles sanitaires

Enfin des signes de relance pour le tourisme.  Depuis le début de septembre, le ministère du Tourisme multiplie les rencontres avec les professionnels du secteur, ainsi qu’avec les partenaires étrangers. La ministre, Nadia Fettah Alaoui, a tenu d’ailleurs à participer à la 112e  session du conseil exécutif de l’Organisation mondiale du tourisme à Tbilissi en Géorgie (du 15 au 17 septembre). Conseil au cours duquel la Covid a été au cœur des débats.

La pandémie a entraîné une perte de 460 milliards de dollars pour le secteur au premier semestre, selon les estimations de l’OMT. Soit cinq fois plus que les pertes générées par la crise financière de 2009. Le challenge aujourd’hui pour l’ensemble des destinations touristiques est de maintenir debout le secteur. Si ailleurs certains pays comptent sur le tourisme interne, au Maroc, ce dernier n’a pas donné les résultats escomptés.

La reprise ne pourrait aboutir qu’à travers le tourisme international. «Pour les professionnels, les solutions pour la préservation du secteur et sa relance doivent être également  discutées sur le plan international», souligne Fouzi Zemrani, vice-président de la Confédération nationale du tourisme. 

«Le bon sens voudrait que l’ensemble des Etats collaborent pour sortir le monde de cette crise», ajoute-t-il. En parallèle aux rencontres de la ministre à Tbilissi, d’autres réunions, cette fois-ci à Paris, discutaient du potentiel touristique du Maroc à l’occasion de l’assemblée générale des Entreprises du Voyage.

L’Office national marocain du tourisme (ONMT), qui y participait a tenu à rassurer les prescripteurs de voyages français. Objectif: maintenir la programmation du Maroc auprès des TO historiques, comme Karavel Fram Promovacances ou NG travel, Voyage Privé… Sauf que pour garder le Maroc en tête de liste dans les agendas des TO et des compagnies aériennes, il faudra plus qu’une présence dans les réunions, estiment des experts.

Dans un courrier adressé à la ministre du Tourisme, le Syndicat des entreprises du tour operating (Seto) et des Entreprises du voyage a demandé un allégement du dispositif sanitaire  pour les personnes voyageant vers le Maroc

 

BEI/GCAM : 200 M€ pour soutenir les écosystèmes agricoles au Maroc

LA BANQUE EUROPÉENNE D’INVESTISSEMENT (BEI) ET LE GROUPE CRÉDIT AGRICOLE DU MAROC (GCAM) ONT SIGNÉ UN ACCORD DE FINANCEMENT DE 200 MILLIONS D’EUROS POUR SOUTENIR LES ENTREPRISES MAROCAINES DANS LE SECTEUR DE LA BIO-ÉCONOMIE ET DE L’AGRICULTURE AVEC UNE ATTENTION PARTICULIÈRE POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE.

Signé par la vice-présidente de la BEI, Emma Navarro et le président du directoire du GCAM, Tariq Sijilmassi, en présence du ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts, Aziz Akhannouch, cet accord a pour objectif premier d’appuyer et accompagner la mise en œuvre de la nouvelle stratégie agricole du Royaume « Génération Green 2020-2020 », indique un communiqué conjoint des deux parties. Cette ligne de crédit porte sur le financement des chaînes de valeurs agricoles, toutes productions confondues et touche l’ensemble de l’écosystème y afférent (production, stockage, logistique, conditionnement, emballage, transformation, commercialisation, etc). Y sont éligibles l’ensemble des segments de production alimentaire, amont et aval (exploitations agricoles, coopératives agricoles, Groupements d’intérêt économique, petites et moyennes entreprises, très petites entreprises, etc). Elle cible en particulier les investissements productifs et générateurs d’emplois et de valeur ajoutée et ce en parfait accord avec les orientations de « Génération Green 2020-2030 ».

Ce soutien d’envergure fait aussi partie de la mobilisation de l’Union européenne (UE) face à la pandémie du nouveau coronavirus (covid-19), fait savoir le communiqué, ajoutant que ce prêt sera accompagné d’une assistance technique pour appuyer le GCAM dans la digitalisation des chaines de valeur agricoles et le financement vert. La BEI mobilisera également des ressources additionnelles pour accompagner le GCAM et ses clients à travers une assistance technique ciblée qui permettra d’une part de soutenir la digitalisation de ce secteur et l’emploi du « big data » et, d’autre part, de développer des mesures et actions en faveur de l’environnement.
Dans son mot d’ouverture de la cérémonie de signature tenue par visioconférence, M. Akhannouch s’est réjoui du soutien apporté par la BEI et le GCAM à la vision stratégique pour le secteur agricole « Génération Green 2020-2030 ». Il a également souligné que cette démarche est une première action de concrétisation de cette nouvelle stratégie depuis son lancement par SM. Mohammed VI en février dernier.

De son côté, Mme Navarro a indiqué que le secteur privé est une priorité pour la BEI. « A cet effet, nous y accordons une importance particulière et tenons, à travers ce partenariat, à soutenir les petites entreprises et les entreprises à taille intermédiaire dans un secteur clef pour l’économie marocaine. Il s’agit pour nous d’un partenariat stratégique avec un acteur majeur pour le financement de la bio-économie au Maroc », a-t-elle poursuivi. Et de conclure: « Face aux défis à relever en cette période critique pour tous, nous sommes très mobilisés pour soutenir l’économie du Maroc ».

Pour sa part, M. Sijilmassi a relevé que « cette convention est un premier pas entre le GCAM et la BEI dans la construction d’un partenariat solide et durable au profit du monde agricole et rural ». « A travers cet accord, nous souhaitons renforcer encore plus notre appui au secteur agricole qui reste la priorité absolue de notre Banque, et, surtout, mobiliser davantage de moyens pour accompagner la nouvelle stratégie agricole du pays », a-t-il fait valoir. « A ce titre, cette opération s’insère dans le cadre d’un programme de soutien et de relance d’envergure que le GCAM prépare avec le ministère de l’Agriculture à destination des agriculteurs, des agro-industries et de la classe moyenne en milieu rural. Ce programme sera divulgué ultérieurement », a soutenu M. Sijilmassi. Ce financement fait également partie de la mobilisation de l’UE face au covid-19 et plus particulièrement du programme « Team Europe », créé dans l’objectif de soutenir les pays partenaires, notamment les pays hors de l’Europe, dans la lutte contre cette crise sanitaire et en atténuer les effets économiques et sociaux.

La BEI, dont les actionnaires sont les États membres de l’UE, est l’institution de financement à long terme de l’UE. Elle met à disposition des financements à long terme pour des investissements de qualité qui contribuent à la réalisation des grands objectifs de l’UE.

Partenaire clef du Maroc depuis plus de 40 ans, la BEI lui a octroyé depuis 2007, plus de 5 milliards d’euros de financements, dont 30% dédiés au secteur privé.

Le GCAM se mobilise auprès des agriculteurs pour répondre efficacement à l’ensemble de leurs besoins et apporter des solutions innovantes et efficaces aux problématiques du monde rural. Le groupe présente aujourd’hui un total bilan de plus de 10 milliards euros et un encours de crédits de 8 milliards euros dont plus de la moitié est affectée au secteur agricole, agroalimentaire et aux activités économiques en milieu rural.

TELQUEL

UN NOUVEAU DISPOSITIF ORGANISATIONNEL POUR LA PRISE EN CHARGE DES CAS COVID-19 

Dans une circulaire datée du 16 septembre, le ministère de la Santé a mis en place un nouveau dispositif organisationnel pour la prise en charge des cas positifs au coronavirus, fondé sur la coopération de deux structures sanitaires : les Structures de proximité de référence Covid-19 et les Établissements de soin de santé primaire.

Mercredi 16 septembre, le ministère de la Santé a émis une nouvelle circulaire adressée aux directeurs et directrices régionaux de la santé, modifiant ainsi le contenu de la précédente, datant du 2 septembre, et ce afin d’actualiser le protocole de prise en charge des patients Covid-19 et de présenter un nouveau dispositif organisationnel. Une nouvelle organisation qui devrait fluidifier la répartition et donc la prise en charge des patients.

Fondé sur une complémentarité entre les Établissements de soin de santé primaire (ESSP) et les Structures de proximité de référence Covid-19 (SPR), ce nouveau dispositif verra sa coordination assurée par le Service du réseau des établissements de santé (SRES).

Les ESSP pour l’identification des cas

Le document établit également les prérogatives de chacune de ces structures médicales. Les ESSP sont à présent chargés d’assurer l’identification des cas suspects ainsi que leur orientation vers les structures appropriées, le suivi à domicile des cas diagnostiqués et l’investigation des éventuels cas probables et clusters aux côtés des équipes d’investigation rapide.

Ils participeront également à la réalisation de tests sérologiques, et à “l’opérationnalisation du système de veille au niveau des établissements scolaires et universitaires” relevant de leurs zones respectives.

Le relais des SPR

De leur côté, les Structures de proximité de référence Covid-19 (SPR), dont la création tiendra principalement compte de la situation épidémiologique locale et des ressources humaines et techniques dont dispose l’établissement, seront tout d’abord chargées d’identifier et de trier les cas référés par les ESSP, et d’orienter les cas présentant des signes de gravité vers des structures hospitalières.

Le document établit également que les SPR pourront réaliser des prélèvements pour test PCR et prescrire des médicaments « pour les cas éligibles au traitement à domicile après réalisation d’un ECG”.

En Tunisie, l’agriculture fait sa révolution numérique

Capteurs installés dans les conduits d’irrigation et dans le sol, colliers émetteurs au cou des vaches… Le monde agricole tunisien est en pleine mutation.

A Takelsa, dans le Cap-Bon, à la pointe nord-est de la Tunisie, Mahmoud Bouassida tâte ses oranges, l’air inquiet. Ces derniers jours, des pluies torrentielles se sont abattues sur son verger de douze hectares où il cultive différentes variétés, telles des sanguines, des oranges douces ou des clémentines.

Des précipitations bienvenues à condition de faire attention. « Nous avons eu une période de sécheresse juste avant alors, avec la pluie, les fruits peuvent se gorger de trop d’eau et exploser de l’intérieur. C’est comme un humain assoiffé qui va se ruer sur une bouteille d’eau et boire trop vite, il aura mal au ventre », raconte ce passionné qui a abandonné il y a dix ans une carrière dans l’industrie pétrolière pour acheter un terrain et se mettre à cultiver.

Si Mahmoud a tout appris sur le tas, il s’appuie aussi sur la technologie : des capteurs installés dans les conduits d’irrigation et dans le sol, et un boîtier sans fil connecté au logiciel d’Ezzayra, une start-up d’agritech, l’aident à gérer sa ferme. Dans le cas présent, le système lui permet de réguler la salinité des sols et d’injecter les sels minéraux nécessaires ou non par rapport à la pluviométrie. Sa ferme est reliée à une station qui automatise les processus d’irrigation et de fertilisation grâce aux informations envoyées par le logiciel.

« Chaque année, on doit s’adapter aux conséquences du changement climatique, dans une culture d’agrumes qui consomme beaucoup d’eau. Avec ce système, au lieu d’avoir des ouvriers qui passent leur temps à ouvrir et fermer les vannes, tout est calculé et établi par l’ordinateur, sur lequel je peux ajouter des paramètres si besoin. Les ouvriers sont redirigés vers d’autres tâches », précise-t-il. Le programme est aussi capable de repérer les fuites sur le goutte-à-goutte, difficilement identifiables à l’œil nu.

Réduire les coûts

Au côté de Mahmoud Bouassida, Yasser Bououd, 42 ans, l’un des initiateurs d’Ezzayra, règle certains détails de la plate-forme. Issu d’une famille d’agriculteurs de la région, ce développeur expatrié au Canada est revenu en Tunisie pour passer cinq ans « les pieds dans la boue » dans l’exploitation familiale avant de mettre au point, en 2016, son projet entrepreneurial avec deux associés.

La start-up propose une solution de gestion intégrée pour mieux gérer les exploitations agricoles comme celle de Mahmoud et réduire les coûts liés au gaspillage et au manque de suivi. Une façon de répondre aux défis que Yasser Bououd a pu observer lui-même sur le terrain. « En Tunisie, on fait de l’agriculture de façon ancestrale, avec un savoir-faire que l’on se transmet, alors que, ces trente dernières années, toutes les données ont changé », affirme-t-il. Le pays est classé parmi les plus touchés dans le monde par le risque de pénurie hydrique.

« Notre système permet aussi de réduire l’usage des pesticides avec un dosage précis. L’idée est également d’offrir la traçabilité des produits pour le consommateur avec la collecte des données », ajoute l’entrepreneur. Pour convertir les exploitations à ces algorithmes, il faut rallier les plus réticents au changement. La rentabilité du dispositif a convaincu une soixantaine de clients.

« Prenez une exploitation de 1 000 hectares d’agrumes qui consomme annuellement en eau entre 5 000 et 8 000 dinars (entre 1 500 et 2 400 euros) par hectare par an, si vous optimisez ne serait-ce que 100 dinars par hectare, l’agriculteur gagne au moins 100 000 dinars par an » avec un gain de 30 % grâce à une meilleure gestion de la main-d’œuvre, assure Yasser Bououd. Le chiffre d’affaires de la société a atteint 100 000 euros en 2019 et devrait doubler cette année.

Le secteur agricole au centre de l’économie

Dans une Tunisie où l’agriculture représente entre 9 et 11 % du PIB et près de 15 % de l’emploi, l’adaptation aux aléas climatiques et la modernisation du secteur sont devenues des nécessités. D’autant que les prévisions annoncent pour la prochaine décennie des sécheresses plus longues, une diminution des ressources en eau de cinq et une augmentation des incendies.

La crise sanitaire a contribué à remettre le secteur agricole et agroalimentaire au centre de l’économie tunisienne. Très sollicité pendant la période de confinement pour parvenir à répondre aux besoins des foyers tunisiens, il fait désormais meilleure figure que le tourisme, qui affronte une nouvelle crise avec le Covid-19.

Le digital permettra-t-il de remobiliser une génération qui s’était désintéressée de l’agriculture à cause de son manque de rentabilité et de l’endettement des aînés ? C’est ce que pourrait permettre la start-up MooMe, créée par trois jeunes en 2019 et consacrée à la collecte de données des vaches laitières. Comme Yasser Bououd, Ahmed Achballah, 36 ans, diplômé en sciences appliquées, est né dans une famille de fermiers. Avec d’autres ingénieurs, il a tenté de résoudre les problèmes récurrents des élevages bovins en Tunisie, comme la mauvaise fertilité et la difficulté à détecter les maladies précoces.

Leur outil : un collier connecté pour vache, muni d’un petit capteur qui analyse le niveau de rumination et les mouvements, notamment pour identifier des maladies comme la mammite ou la boiterie, mais aussi pour évaluer sa fertilité.

Des boîtiers qui remplacent les sonnailles

« Le plus important pour un éleveur est de savoir quand faire l’insémination artificielle, témoigne Ahmed. Ces données nous permettent de l’alerter à l’avance. » Dans les fermes du nord-ouest où il a testé son produit, les colliers noirs ont remplacé les sonnailles au cou des bêtes. Les boîtiers MooMe installés dans les étables indiquent que les données sont en train d’être traduites en algorithmes et tableurs, à Tunis, puis renvoyées sur la plate-forme à laquelle l’agriculteur a accès.

Même si la moyenne d’âge de 80 % des agriculteurs en Tunisie est de 50 ans, Ahmed compte sur leurs enfants, ouverts aux nouvelles technologies, et les vétérinaires pour saisir l’intérêt du collier qu’il vend à 200 dinars (62 euros) avec des formules par abonnement mensuel.

La Tunisie compte officiellement près de 92 000 ingénieurs. Parmi eux, 10 000 sont au chômage et quelque 2 000 partent chaque année travailler à l’étranger. Les acteurs de l’agritech font valoir que de nombreux diplômés en électromécanique ou en technologies de l’information pourraient se reconvertir avantageusement dans un projet agricole grâce au digital et à l’innovation.

La plate-forme Nabda.tn des deux frères Ahmed Hamouda et Mohamed Amine s’est ainsi fixée pour objectif de documenter en vidéo l’effort de ces nouveaux entrepreneurs. « Nous avons commencé en montrant l’impact des start-up issues de l’agritech à travers leur approche de cocréation avec les agriculteurs, car cela touche directement les jeunes qui sont issus de milieux ruraux et qui déconsidèrent le travail de la terre », explique Ahmed Hamouda.

Pour une agriculture biologique et durable

Syrine Baghdadi, 27 ans, ingénieur agronome, tente quant à elle, via le digital, de rassembler les jeunes « agripreneurs » de demain. Pendant le confinement, elle a monté avec une équipe la start-up BioAgrihelpers pour former à l’agriculture biologique et durable. « L’idée est de former, mais aussi de pouvoir échanger au sein d’une communauté encore à construire », précise-t-elle.

Si l’agritech n’en est qu’à ses débuts en Tunisie, le secteur semble à fort potentiel, notamment pour les business angels qui s’intéressent au pays. Ainsi, la start-up tuniso-française NextProtein, qui produit des aliments à partir de larves de mouches, est parvenue au printemps à lever plus de 10 millions d’euros. Khaled Helioui, l’un des investisseurs, voit dans cette réussite un coup de pouce pour le reste de l’écosystème qui, estime-t-il, doit miser sur la qualité plutôt que la quantité.

« Ce n’est pas par hasard si l’une des start-up qui a levé le plus de fonds dans le pays est issue de l’agritech. Les problématiques abordées comme le risque de famine ou de manque d’eau prévalent de plus en plus », souligne-t-il.

Au plan mondial, l’agritech est moins attractive que la fintech ou la sécurité. Mais elle connaît un véritable essor depuis quelques années, une dynamique que la crise sanitaire ne fait que renforcer. En Tunisie, une dizaine de start-up agritech sont désormais actives dans ce secteur. Un écosystème conforté par la mise en place du StartupAct, un cadre juridique initié par les entrepreneurs et adopté par le gouvernement tunisien en 2018.

Dans les incubateurs de la capitale, les formateurs sont confiants malgré certains problèmes persistants pour les nouveaux venus. « La Tunisie a une longueur d’avance grâce à ses compétences technologiques, mais des obstacles demeurent au niveau de la législation, sans compter les barrières à l’entrée sur le plan logistique ou administratif », évalue Yehia Houry, directeur exécutif au sein de l’accélérateur Flat6Labs à Tunis. Il déplore le clivage établi par les institutions entre un entrepreneur issu de l’informatique et un agriculteur au sens traditionnel. Le plus dur des labeurs reste le changement des mentalités.